Artisan orfèvre devenu artiste créateur, la carrière de Serge Mouille (1922-1988) a pris un tournant lorsqu’il s’est mis à concevoir des luminaires. Simplicité et fluidité, esthétisme raffiné et identité singulière, ils sont aujourd’hui de véritables œuvres d’art du XXe siècle. Voici les créations de « l’orfèvre de la lumière ».
Des lampes aux formes inédites, inspirées par la femme ou la nature et une versatilité accentuée d’une légèreté incontestable sont des atouts des luminaires de Mouille. Se servant d’un savoir-faire artisanal mêlé à un génie artistique, il a pu se distinguer ; c’est peut-être de ce mélange d’ailleurs que viennent toute la sensibilité et la finesse de ses lampes. Par la pureté de leurs allures, elles représentent une sophistication ultime.
Le hasard fait bien les choses
C’est a la suite d’une simple rencontre que la carrière de cet orfèvre, sculpteur, chercheur et professeur a changé. En 1951, Mouille rencontre Jacques Adnet, directeur de la Compagnie des Arts Français, qui lui demande de concevoir un grand luminaire pour sa cliente sud-américaine. C’est ainsi que son aventure en tant que créateur de luminaires commence.
Ayant maîtrisé depuis longtemps son travail dans le domaine de l’orfèvrerie – auprès de Gabriel Lacroix et dans son propre atelier plus tard – il a employé les techniques de son art : marteler le métal et le couper à la main pour concevoir des pièces fines et raffinées, et donner vie à cette matière froide. Plus que des objets de la vie quotidienne, il a méticuleusement façonné des bijoux modernes.
Inspiré par le fonctionnalisme, il a visualisé pour ce projet d’Adnet une lampe pratique, adaptable et polyvalente. Afin d’harmoniser la lumière avec son milieu et l’intention de son usage, il a utilisé plusieurs bras de longueurs multiples. En lignes droites et courbes et des réflecteurs pivotants pour manipuler l’intensité de la lumière, le Lampadaire Trois Bras (ou lampadaire à trois branches) voit donc le jour et devient le modèle référence duquel ont dérivé ses futures créations et par lequel le succès a débuté.
Serge Mouille – © Luminaires Serge Mouille
Serge Mouille, ou la lumière en 360 degrés
Lampadaire trois bras (1952) et Lampadaire droit (1953) – © Luminaires Serge Mouille
Serge Mouille décline son Lampadaire Trois Bras (1952) et crée le Lampadaire Droit (1953). Il diffère de son prédécesseur par un bras unique au lieu de trois. A partir de 1953, Il décline une famille entière de lampes à poser, lampadaires, appliques murales et plafonniers.
Les luminaires de cette collection qu’il nomme Formes Noires sont issues du même principe : « une combinaison de tournage, découpe et déformation manuelle contrôlée, qui produit des formes uniques inaccessibles aux techniques habituelles et qui, de fait, laisseront perplexes les techniciens de l’époque ».
Il prend le corps de la femme comme inspiration et le décrypte : des bras fins et simples ; un système singulier de petites rotules en laiton doré auxquels se fixent des réflecteurs pivotants – qu’on désignera plus tard par « tétons de négresse » à cause de leur forme – et qui permettent de diffuser ainsi une lumière optimale et réglable (directe ou indirecte) ; un fini lisse, doux pour sublimer la dimension sensuelle et inviter son utilisateur au toucher.
Le métal est son allié: les pièces de cet orfèvre sont en aluminium, acier et laiton (peintes en noir majoritairement).
Serge Mouille, des créations originales inspirées de la nature
Serge Mouille ne cessera de s’inspirer de la nature pour traduire ses formes en objets lumineux particuliers. Lampe Antony (1955), plafonnier Escargot (1955), applique Œil (1956), lampe et applique Saturne (1957), applique Conche (1957), plafonnier et applique Araignée (1958), applique Flamme (1962) renvoient à des pattes d’insectes, des tiges et des feuilles. On voit alors des luminaires à quatre, cinq, six ou sept bras, pivotants ou fixes, simples, courbes ou « cassés » qui s’entremêlent en diverses configurations et compositions. De vraies sculptures qui donnent vie à tout espace qu’elles habitent.
Bien qu’il ait été constant et persistent dans son œuvre, ce créateur tente tout un style différent en 1962. Serge Mouille est attiré par les possibilités qu’offre le néon et développe une série de lampadaires – appelés Signal et Totem. Ils se caractérisent par des colonnes en métal qui entourent un tube fluorescent lumineux. Le succès de cette collection de luminaires aux formes dépouillées est moins retentissant. Son importance en revanche, est essentielle dans la nouveauté qu’elle propose.
Malgré des luminaires unanimement plébiscitées Serge Mouille refuse de céder au gain et à la production industrielle. Il poursuit sa fabrication artisanale, à la main pour mettre en valeur l’incomparable martellement des feuilles et les découpes soigneuses de ses trésors.
Dans l’ordre : Antony (1955), Saturne (1957), Conche (1957), Flamme (1962), Oeil (1956), Escargot (1955) et Araignée (1958)
© Luminaires Serge Mouille
Une lumière toujours radiante
Les succès s’enchainent : le Prix Charles Plumet (1955) et le diplôme d’honneur de l’Exposition internationale de Bruxelles (1958). Il gagne également de nombreux projets comme l’éclairage des cités universitaires d’Antony, de Strasbourg et d’Aix-Marseille.
En 1956, Boulevard Saint Germain, ouvre la Galerie Steph Simon. Elle exposera pour Pierlot, Jouve, Noguchi, Perriand ou encore Prouvé. Elle présentera les créations de Serge Mouille, suite aux recommandations de Perriand et Prouvé. Il exposera aussi au Salon des Arts Ménagers (1961) avant que la maladie ne l’oblige à arrêter son activité et la production en 1963.
En 1999, l’épouse de Serge Mouille décide de poursuivre son héritage. Elle reprend la production de ses créations et fonde les Editions Serge Mouille, seul éditeur et producteur de ses lampes. Les valeurs de cette maison d’édition artisanale reposent sur le respect des créations et la lutte contre les contrefaçons. Elle préserve et respecte la légitimité de l’œuvre initiale. Elle conserve et célébre également le savoir-faire artisanal, toujours présent dans la fabrication – purement française. Un nombre limité de pièces est mis en vente chaque année ; à chaque luminaire correspond un numéro de série, munis d’un certificat d’authenticité.
La collection Formes Noires est devenue la vedette de nombreux artistes et personnalités. En effet, Yves Saint Laurent, Azzedine Alaïa ou encore Peter Fonda se l’arrachent. Elle est présente aujourd’hui dans les collections des grands plus grands musées internationaux. C’est le cas du MoMA de New York, du Centre Pompidou ou encore du Musée des arts décoratifs à Paris.
Lampadaire trois bras (1952) – © Luminaires Serge Mouille
Perles rares, preuves d’inventivité et de sensibilité, silhouettes gracieuses et délicates, les chefs-d’œuvre de ce « maître lumière » ont mérité leur place aux cotés des légendes du design des années ’50. Plus qu’un esthétisme remarquable et une éternelle contemporanéité, elles incarnent la passion et le talent de leur auteur.